LE BAVARDAGE : QUAND DIRE C’EST FAIRE TAIRE (1)

(2000)

Pas un conseil de classe qui passe sans que le bavardage soit souligné comme un problème majeur pour la plupart des enseignants des disciplines d’enseignement général. Voilà des années que le bavardage est mis à l’index ; il est devenu l’ennemi numéro un (il partage la vedette avec le « travail insuffisant ») avec à la clé un évident constat d’échec – pour ne pas dire sentiment d’échec – pour tous  ceux qui sont censés représenter l’autorité et la faire maintenir dans la classe.

Ne soyons pas naïfs. La quasi majorité d’entre nous sait, du moins je l’espère, qu’il est totalement utopique d’espérer rendre muets nos élèves. Ceux qui cherchent pourtant à l’obtenir savent aussi combien il est extrêmement énergétivore et source de violence de vouloir imposer le silence à tous, tout le temps, en même temps. Entendons-nous bien. La légitimité d’une telle démarche n’est pas à remettre en cause. Nous avons besoin d’un  minimum de conditions de travail réunies pour enseigner. Et, cependant, la réalité du terrain nous rattrape et devrait nous pousser à poser autrement la question du bruit en classe. QUE FAIRE ALORS ?

Pourquoi ne pas penser différemment le bavardage, non comme un problème à supprimer absolument, mais, au contraire, comme un début de solution. Apprenons à composer avec pour, sans le supprimer, le rendre viable. Apprenons à le tolérer sous certaines conditions. Chaque fois que j’emménage dans un nouvel appartement, dans un but bien précis, ma première initiative est de faire connaissance avec mes voisins. Je désire savoir jusqu’où je peux monter le volume de ma chaîne hi-fi sans gêner. Avec mes voisins, nous faisons des essais et j’apprends ainsi la limite à ne pas dépasser. S’inspirant de la même logique, pourquoi n’apprendrions pas à nos élèves, au groupe classe, à parler doucement, chuchoter ? Ils apprendraient ma limite personnelle, celle que je juge non préjudiciable pour que chacun puisse m’entendre. Combien de nos élèves ont appris à travailler le placement et l’intensité de leur voix ? Ce serait l’occasion d’apprendre à mieux se connaître et de permettre à chacun de réfléchir sur le droit et la liberté de parole ainsi que toutes les implications qui peuvent en découler. « Baisser le volume » cesserait d’être une expression vide de sens pour devenir un outil d’autorégulation et le signe d’un respect réciproque construit.

Francis Kaftel

(1) J'avais affiché ce texte en grand format dans la salle des professeurs du L.P. où je travaillais depuis 18 ans, au lendemain d'une suite de conseils de classe.