VIVRE UNE SITUATION CONFLICTUELLE

Reconnaître, naviguer, (s')en sortir

 

Sur le conflit et le conflictuel

Lorsque la situation conflictuelle éclate au grand jour

Empêcher qu’une situation de désaccord se transforme en situation conflictuelle

Très concrètement et dans l’idéal, voilà ce qu’il est possible de faire

Et d’espérer obtenir

Revenir d’une situation conflictuelle à une situation de désaccord sans conflit

Quand la situation conflictuelle menace l’intégrité physique et engendre un passage à l’acte.

Trois stratégies possibles

 

 

Sur le conflit et le conflictuel

Il n’y a pas de conflit en soi ; il n’y a que des situations vécues comme conflictuelles.

Il ne peut y avoir de conflit sans désaccord. Cependant jamais un désaccord ne mène à une situation conflictuelle sans autre chose.

Le conflictuel est d’abord vécu sur le mode du ressenti. Entre tension et souffrance, supportable et insupportable, où se situe le curseur qui nous fera dire que la situation qui provoque mon ressenti est une situation conflictuelle ?

La réponse est individuelle et c’est ce qui fait la difficulté à prévenir et gérer le conflictuel. En effet ce qui est de l’ordre du supportable pour l’un sera insupportable pour l’autre.

Une situation conflictuelle se vit d’abord. Cela veut dire qu’elle peut passer tout à fait inaperçue de l’extérieur.

Dans toute situation conflictuelle, il y a emergence d'insécurité.

Lorsque la situation conflictuelle éclate au grand jour...

Il y a début d’intolérance, de l'insupportable, un seuil franchi. Certains disent qu’il y a un conflit ouvert.  

Tout comportement d’attaque ou de défense dirigé contre la situation vise un changement dont l’effet attendu (consciemment ou inconsciemment) est une transformation du ressenti (en intensité). Ces comportements ne visent pas forcément et directement une personne mais un élément de la situation.    

Les formes de passage à l’acte sont aussi nombreuses que variées. L’expression d’une critique formulée sur un ton disqualifiant, une insulte, un coup, s’en aller sans clôturer l’échange ou ne plus adresser la parole à quelqu’un sont, parmi bien d’autres, quelques exemples de ces passages à l’acte.

Le déclenchement de ces passages est plus ou moins contrôlé par les personnes. Parfois, il ne l’est pas du tout. Nous sommes dans la réactivité pure.

- Dans un établissement scolaire Les situations conflictuelles sont inévitables tout simplement parce que les acteurs possèdent leurs propres limites à bloquer, contenir, amortir, métaboliser et transformer l’impact « négatif » des conduites d’autrui, de leur environnement, de leurs propres conduites, pour réussir à conserver un seuil de sécurité intérieur minimal.

Empêcher qu’une situation de désaccord se transforme en situation conflictuelle

Le désaccord est une divergence à deux facettes. La première renvoie habituellement à une divergence sur le contenu des propos, leur interprétation. Je peux être en désaccord avec la définition que l’autre donne du mot conflit ou d’une situation conflictuelle. Cela n’entraînera pas pour autant que je rentre en situation conflictuelle avec lui. Après tout, chacun peut-être libre d’avoir sa propre définition, à un moment donné, en fonction de son niveau de connaissance et d’expérience. Cela ne veut pas dire qu’il ait raison ou tort, que j’ai raison ou tort ou que les deux aient raison ou tort. L’important est que je puisse confirmer chez l’autre cette possibilité et touche à la deuxième facette. Celle qui est reliée à la relation proprement dite qui s’établit entre les deux interlocuteurs.  

Le désaccord dégénère dans du conflictuel dans deux cas :

- lorsque l’un des interlocuteurs (ou les deux) ne se sentent pas confirmés dans leur possibilité d’être dans la divergence (ou dans l’accord).  En d’autres termes, le « voilà comment je me sens et comment je me vois» n’est pas confirmé par le « voilà comment je vous vois et perçois ce que vous ressentez». Il y a un rejet, une non reconnaissance, de la définition que chacun se donne de soi-même. 

 

Ex. : Un élève est en désaccord avec l’enseignant qui voudrait qu’il essaie de grimper en escalade. L’enseignant pense que c’est facile. L’élève que c’est difficile. Plus l’enseignant donne ses « bonnes raisons » justificatives plus l’élève se réfugie dans un refus de s’engager dans l’activité. L’enseignant traite le désaccord sur le plan du contenu (une argumentation) et non sur le plan de la relation (une confirmation que l’élève puisse trouver cela difficile). Plus l’enseignant va argumenter, plus ce que l’élève entend c’est : « il ne me comprend pas, il ne me reconnaît pas dans la possibilité d’avoir mon propre vécu». La communication ne se fait pas au même niveau et ne peut aboutir qu’à une situation de crispation.

Ex. : un enseignant est en difficulté avec une classe et prend RV avec le chef d’établissement, pour en parler. Ce dernier l’écoute d’une oreille distraite, puis évoque le fait qu’apparemment c’est une classe sans problème, avec des élèves faciles, et qu’il n’y a aucune raison d’être en difficulté avec elle. En d’autres termes, non seulement la détresse de l’enseignant n’est pas entendue, mais la possibilité même de pouvoir la vivre est rejetée. Sans parler du processus de disqualification dans lequel peut être conduit l’enseignant. 

 

- lorsque qu’il y a non un rejet mais un déni de la personne elle-même. C’est-à-dire la possibilité même qu’elle puisse être une source de définition de ce qu’elle est.

Très concrètement et dans l’idéal, voilà ce qu’il est possible de faire…

Activer vos balises relationnelles

Proposer un moment et un lieu d’échange acceptés par les deux interlocuteurs.

Observer pour rester vigilant sur le para et non verbal durant l’échange qui vous donnera une information précise de la « température conflictuelle ».

Observer pour rester vigilant sur votre propre « température conflictuelle ».

Etre vigilant à ses gestes, sa posture, au paraverbal et évitez tout signe qui pourrait faire l’objet d’une interprétation d’agressivité (ex. un doigt qui désigne, se rapprocher et pénétrer dans l’espace personnel, voire intime d’autrui). Se synchroniser sur votre interlocuteur.

Confirmer activement l’autre dans sa légitimité concernant l’impact émotionnel vécu. Cette confirmation ne peut se faire sans écoute et sans paroles prononcées. Il est possible, par exemple, de reconnaître le conflit ou le problème même si vous ne vivez pas la situation comme problématique ou conflictuelle. Si une personne vit une situation comme un problème, ne pas lui renvoyer l’idée qu’il n’y a pas de problème. Si quelqu’un est en colère, confirmer sa colère et ne lui dites pas qu'il a tort d’être en colère.  

Etre et se montrer empathique.

Montrer que vous avez entendu ce qu’il disait. Utiliser la reformulation.

Prendre des précautions oratoires. Supprimer le verbal qui s’appuie sur l’injonction, la disqualification, le jugement, la menace et qui prend comme cible autrui. Il y a des mots qui, quand ils sont prononcés, (en) ferment toute possibilité d’entendre tels que NON ou MAIS.

Parler méta sur la situation et non sur autrui (ex. : un « Vous êtes quelqu’un de difficile et vous ne savez pas écouter, calmez-vous » n’aura pas le même impact que « j’ai l’impression que la situation est difficile et je ne suis pas sûr que notre écoute soit favorable pour pouvoir avancer »).

Utiliser un je de positionnement qui informe sur ce que vous ressentez.

 

… Et d’espérer obtenir

Tout cela n’a pas pour effet de supprimer le désaccord, mais a le pouvoir de permettre aux interlocuteurs de pouvoir parler sur le désaccord sans risque de n’être pas entendu.

 

Revenir d’une situation conflictuelle à une situation de désaccord sans conflit

Quand une situation conflictuelle est déjà installée, l’enjeu est de ne pas amplifier l’aspect conflictuel au risque de voir la situation s’inscrire dans un processus d’escalade symétrique et aboutir à l’apparition de conduites de rejet de plus en plus incontrôlées qui peuvent trouver leur expression dans la violence verbale ou physique. 

 

La ligne de conduite est la même que précédemment exposée tout en étant renforcée par un degré accru de vigilance.  Ce qui est plus difficile compte tenu de l’élévation de la température conflictuelle qu’elle entraîne.

 

Quand la situation conflictuelle menace l’intégrité physique et risque, voire engendre, un passage à l’acte.

 

Il faut savoir que toute situation d’échange conflictuelle  peut – si certaines conditions sont réunies – mener à l’apparition de comportements physiques violents dirigés à l’encontre soit de l’environnement matériel soit de l’environnement humain.

 

- En milieu scolaire,  ces passages à l’acte physiques  vers une autre personne sont déclenchés majoritairement par des jeunes (enfants ou adolescents élèves) vers d’autres élèves,  vers des adultes (personnels d’éducation, de direction ou enseignants), ou plus exceptionnellement entre deux personnels adultes (Cf. Statistiques officielles).

 

Il faut savoir aussi que la violence exerce un pouvoir de fascination et que le plaisir s’inscrit aussi en elle. Il suffit de voir les conduites de jeunes quand ils sont attroupés autour d’une bagarre dans la cour. 

 

Méconnaître ces informations, c’est s’exposer à l’effet de surprise qui retarde l’organisation d’une réponse adaptative. Le savoir, c’est adapter une qualité de vigilance plus en rapport avec la réalité relationnelle du terrain. La vigilance doit conserver une souplesse d’action. C'est-à-dire qui ne se cristallise pas dans des représentations qui vont conduire à adopter une attitude naïve illustrée par un « quoi qu’il arrive cela va dégénérer » ou un « de toute façon, il n’osera pas ».  Entre la méfiance et l’innocence, la prudence est de mise. Cette prudence doit alerter sans paniquer.

 

- En milieu scolaire, la déontologie relationnelle dicte aux acteurs un devoir de protection. Elle doit servir de point de repère pour élaborer des réponses aux questions suivantes : comment me protéger objectivement tout en protégeant autrui qui cherche par son comportement à m’atteindre physiquement - ou atteindre quelqu’un d’autre - (qui a peut-être déjà réussi à le faire) ? Comment protéger l’ «agresseur» potentiel d’un acte dont les conséquences le placent dans une situation extrêmement délicate par rapport à la loi, à son avenir dans l’établissement… ?  Comment, malgré tout cela, préservez au mieux les missions éducatives ?

Trois stratégies sont possibles : la riposte, le défi, le repli. A priori, elles visent le même objectif : neutraliser l’apparition ou le maintien des comportements qui blessent. En réalité, pour deux d’entre-elles, elles servent de combustible.     

Les stratégies de défi comportent un risque important. Tout geste, attitude, parole,  qui renvoie à l’idée du « vous me menacez mais vous n’êtes pas cap » ou du « vous m’avez bousculez mais vous n’irez pas plus loin » est aussi, de votre part, une invitation faite à autrui de vous montrer qu’il en est capable. C’est une autorisation qu’il attendait et qu’il obtient. 

 

Les stratégies de riposte sont à éviter par le simple fait qu’elles risquent de provoquer une réponse d’un niveau plus élevée. Car riposter c’est, d’une certaine façon, donner l’autorisation à l’autre de poursuivre ce qu’il a déjà commencé. S’installe alors une spirale fermée qui s’autoalimente victime – agresseur – victime – agresseur. Êtes-vous bien certains d’avoir le dernier mot (geste) dans cette affaire ? Et quelle forme prendra-t-il ? Et avoir le dernier geste, est-ce avoir raison ? À quel prix pour lui comme pour vous ? Quoi qu’il en soit, avec des enfants, il ne serait être question que de légitime défense pas de légitime attaque (un élève vous insulte, vous ne le giflez pas ; il vous bouscule, vous ne poursuivez pas ; il vous menace d’un couteau, vous ne le retournez pas contre lui…).    

 

Les stratégies de repli sont à encourager. À l’inverse des deux autres, elles n’encouragent pas, mais offrent une possibilité d’esquiver, d’éloigner. Elles mettent de la distance réelle pour protéger (ex. : reculer quand l’autre avance, baisser sa voix quand l’autre cri ou tout simplement se taire, appeler de l’aide pour dissuader plutôt qu’affronter).

 

- Cette dernière stratégie va être d’autant plus difficile à être décidée et mise en œuvre qu’elle prendra la signification globale d’un acte de soumission. Soumission au plus fort, à la violence qui gagne, des élèves en face des personnels adultes, du moi en face d’un autre.   Mais pour ne pas vouloir perdre la face, faut-il risquer de la blesser davantage. L’enjeu est déplacé et devient prioritaire par rapport au souci de (se) protéger contre les atteintes à l’intégrité physique à court terme tout en préservant aux mieux les intérêts éducatifs du jeune à moyen et long terme. Il n’y a pas de héros dans la violence partagée ; que des perdants. Même quand le corps-à-corps est engagé - cela arrive parfois - cette stratégie de repli peut trouver son expression (Ex. : ceinturer les bras plutôt que riposter par des coups).

 

Fort heureusement, si toute tentative de passage à l’acte présente des risques objectifs d’atteinte à l’intégrité physique des personnes, elle n’atteint pas toujours sa cible.

 

Certains des comportements encouragés lors de situation de désaccord (conflictuelle ou non)  restent opérants pour stopper ou désamorcer l’escalade.   La marge de manoeuvre est simplement plus étroite compte tenu de l’urgence de protection provoquée par le risque d’une atteinte physique dommageable et compte tenu d’une lucidité diminuée par le niveau de stress  (ou de douleur) supporté.